Une photographie


Une photographie. Pas juste une scène intéressante à figer dans un plan. Une photographie. Une de ces images qui existent en moi, sans que je sache où ni sous quels traits, jusqu’au moment où me fait signe une vibration dans le réel – et scintille la découpe à y opérer pour que l’image prenne chair et s’apparie avec sa trace intérieure, latente encore une seconde plus tôt.

Sauf qu’ordinairement le réel cesse de vibrer bien avant que j’agisse. Face à ce qui prétend devenir photographie, j’ai besoin de temps. Observer monter la nécessité. Connaître. Comprendre. Laisser l’image se charger de ce savoir. Ne pas l’accepter chargée uniquement de l’éclair de la vision. L’éclair est nécessaire mais je ne puis le transposer en photographie qu’en ajournant le geste de la prendre, le temps que la vie dise de quelle sorte d’éclair il s’agissait. Souvent ce n’est qu’un simulacre d’éclair et mieux vaut me taire. Le photographe innocent, ce n’est pas moi. J’aimerais, mais ce n’est pas moi.

Avec tout ça, si dans ce face-à-face je ne suis pas dissous, alors oui, je prends la photographie.

S’ensuit un temps tout en patience, inquiétude et excitation, tant il est incertain que l’appareil ait vu la même chose que moi. Sans compter ce qu’a la chimie de hasardeux. Puis me gagne l’insouciance car bientôt je n’y pense plus. Et un jour le film revient du laboratoire par le courrier postal. Je l’étale sur la table lumineuse. Parmi les images ne disant que ce qu’elles disent je guette une forme familière. Une irradiation. Lorsque je la trouve me soulèvent à nouveau, avec un éclat plus sûr encore qu’au moment de déclencher, vibration, trace et découpe du réel reconnues jadis, à présent sanctionnées par une pincée de sels d’argent couchés sur neuf centimètres carrés de triacétate de cellulose.

Une photographie. Je la reçois comme une greffe d’organe. Aussitôt je me recompose. Et sans avoir eu le temps de ressentir la plaie je me cicatrise. Moins infirme désormais.

 

 


Photographie : Bandana Sharma, étudiante, Kalanki, Népal, 2003
Série Épiphanies du quotidien.


Fragment d’un texte de fiction inédit. Ce fragment particulier est publié dans Népal (Le Bec en l’air, 2017)