Le flash


Peut-être le souvenir d’un temps où voyager…

En 1982, à propos du Jalja La, un col dans le district de Dhorpatan au Népal reliant la basse vallée de la Mayagdi au bassin de la Karnali, Hugh Swift écrit ceci : « [Après Lumsum], on quitte les lieux habités, et l’on entreprend la rude ascension du Jalja La (3400 m environ), par un sentier qui traverse d’abord de beaux champs de sarrasin, puis une belle forêt de pins et de rhododendrons. Il est conseillé de camper à proximité du col, et d’admirer ainsi au lever et au coucher du soleil la perspective superbe sur les Dhaulagiris et les Annapurnas. »*

Le 17 avril 1996, mon journal dit : « La montée n’en finit pas, et la vue sur les Dhaulagiris pour laquelle Swift conseille de dormir au col est bouchée. (…) Je monte mon abri juste avant que la pluie n’arrive et me fais un bon repas. J’ai trouvé un ruisseau où coule une eau claire et bonne à bouillir. (…) Je suis dans mon sac et vais m’endormir tôt. Faux ! Je me lève car la pluie a cessé, et je soupçonne une jolie vue sur les montagnes, comme promise par Swift. Gagné : la pluie a plus ou moins lavé le ciel et à travers quelques nuages apparaît, illuminé d’orange par le soleil, la chaîne du Dhaulagiri. J’espère que les photos seront belles. »

De mes premières images himalayennes deux ou trois ont survécu, dont celle-ci. J’y reconnais toujours quelque chose. Quoi ? Peut-être le souvenir d’un temps où voyager consistait simplement à valider les rêves dont Hugh Swift m’agrandissait… Du Jalja La j’atteignis Dhorpatan puis, par trois cols plus élevés, Dunai et le Dolpo.

Jadis j’ai connu des gens qui découpaient les étiquettes de leurs vêtements pour alléger leur sac. Moi, malgré ses 750 grammes dont 700 ne concernaient pas la région où je marchais, je transportais le livre de Swift, cette bible inépuisable. Grâce à ce livre j’avais aussi emporté cette fois-là celui de David Snellgrove sur son voyage au Dolpo et au Mustang en 1956, Himalayan pilgrimage.

Deux jours après Dunai, à Ringmo, au bord du lac Phoksumdo, j’avais trouvé une chambre chez l’habitant. Mon hôte m’avait invité à partager un plat de pommes de terre avec du sel et du thé sur le toit de sa maison. Je lui montrai le livre de Snellgrove qui contient des planches illustrées : il y reconnut son grand-père…

Et moi dans ce souvenir, je reconnais quelque chose aussi, mais quoi ? Peut-être l’envie que revienne « le temps où voyager consistait simplement, etc. » ?

 

 


* Hugh Swift, Himalaya, guide de trekking, éd. Apsara (1992) pour la traduction française


Photographie : Le Dhaulagiri, 8167 mètres, vu du Jalja la, Népal, 1996.
Série Épiphanies du Quotidien.


Article paru dans Trek Magazine n°165, octobre 2015.