Tu portes ailleurs la bataille


Ma vie, un poème d’Henri Michaux

Essais de traduction vers le népalais

À la page 218 de L’Usage du Monde, dans l’édition Julliard de 1964 ou le facsimilé de l’édition originale paru chez Droz en 1999, Nicolas Bouvier est à Téhéran et raconte ceci :

« Un matin, avenue Lalezar, en passant devant la porte ouverte d’une parfumerie, j’entendis une voix sourde, voilée comme celle d’un dormeur qui rêve tout haut :
Tu t’en vas sans moi, ma vie
Tu roules,
Et moi, j’attends encore de faire un pas
Tu portes ailleurs la bataille
 »

Et vous, vous avez 25 ans, vous ne connaissez d’Henri Michaux que Plume, que feu Monsieur Cels faisait lire à ses élèves en classe de rhétorique dans les années 1980, et vous vous dites que quelque chose est à portée de main qu’il faudra bien un jour parvenir à saisir. Ma vie est paru en 1932 et est disponible dans le recueil La Nuit remue, chez Gallimard.

Tu t’en vas sans moi, ma vie.
Tu roules,
Et moi j’attends encore de faire un pas.
Tu portes ailleurs la bataille.
Tu me désertes ainsi.
Je ne t’ai jamais suivie.

Je ne vois pas clair dans tes offres.
Le petit peu que je veux, jamais tu ne l’apportes.
À cause de ce manque, j’aspire à tant.
À tant de choses, à presque l’infini…
À cause de ce peu qui manque, que jamais tu n’apportes.

Vingt ans plus tard ce texte a infusé. M’étant alors retrouvé avec soit assez d’assurance soit assez de toupet pour me sentir un peu chez moi dans ces onze lignes, je me suis aventuré à en faire quelque chose de népalais.

En voici deux versions, la première très proche du texte de Michaux mais sans doute étrange au lecteur népalophone, la seconde plus fluide en népalais, mais sans doute évacuant quelques subtilités du texte francophone.

मेरो जीवन
हाँरी मिशो, सन १९३२

पहिलो कोशिश

तिमी म बिना जान्छौ मेरो जीवन ।
तिमी गुड्दैछौ,
अनि म एक कदम चाल्न पनि कुर्दै छु ।
तिमी लडाई अन्यत्र कतै लग्दैछौ ।
यसरी तिमी मलाई त्याग्दैछौ ।
मैले तिमीलाई कहिले पनि पछ्याईन ।

तिम्रा प्रस्तावहरूमा मैले स्पष्टता देखिन ।
मेरा अति साना इच्छाहरू पनि, तिमीले कहिल्यै पुरा गरेनौ ।
यसको अभावले गर्दा म बढि भन्दा बढी चाहन्छु,
धेरै चिजहरू, झन्डै असीमित आकाङ्क्षाहरू…
मेरा अति साना इच्छाहरू, जुन तिमीले कहिल्यै पनि पुरा गरेनौ ।

*

दोस्रो कोशिश

तिमी बित्दै जान्छौ म बिना नै, ओ जीवन ।
तिमी बित्छौ ।
अनि म, पर्कन्दै छु कदम बढाउन ।
तिमी अरू ठाउँमै लडाई लढ्दै छौ
यसरी तिमीले मलाई त्याग्यौ ।
र मैले तिमीलाई कहिल्यै पछ्याइन ।

तिम्रा प्रस्तावहरू मेरा लागि त्यति स्पष्ट छैनन् ।
तिमी मैले चाहेको कुरो अलिकति पनि ल्याइदिन्नौ ।
यस कमीले गर्दा मेरो प्रतीक्षा जारी छ ;
यस्तै कुराहरूको लागि, झन्डै अनन्त सम्म
यही कमी जुन तिमीले पूरा गरेनौ ।

 

 


Photographie : Chez Farzaneh, Téhéran, Iran, mai 2005, série L’Usure du Monde.

Merci à mes professeurs de l’Inalco, et ici à Rajesh Khatiwada pour la première version, et Ram Panday pour la seconde.