Sculpter par la Coupe


Une conversation avec Yann Dedet

Par courrier, mai 2013

Yann Dedet est monteur pour le cinéma. Il a travaillé avec François Truffaut, Maurice Piallat, Jean-François Stévenin, Philippe Garrel, Nicole Garcia… En 2013 il participait au projet FIDCampus, une série de master-classes organisées avec le Festival International de Cinéma de Marseille dans le cadre de Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture. Ayant alors été chargé d’éditer le catalogue de l’ensemble du projet Campus dont FidCampus était un des sept volets, j’avais eu la chance de pouvoir lui poser quelques questions à propos de sa participation à ce projet. Ses réponses, outre qu’elles disent la nécessité et la complexité de la transmission, me semblent éclairer précieusement les enjeux posés par cette étape de la fabrication du sens qu’est l’association des images les unes avec les autres…

 

[Frédéric Lecloux] Qu’est-ce qui vous a poussé à participer à ce projet ?

[Yann Dedet] Ce qui me pousse à participer à ce projet est que le montage est le moins connu des artisanats qui servent l’art du cinéma, et que je me dois d’en parler, car il n’y a pas de films sur le montage (même le CNC ne donne pas d’argent à des projets de films sur le montage, je le sais car je suis partie prenante de deux films sur ce métier).

[F. L.] Quel est votre rapport à la transmission ? d’une part en tant que celui qui a reçu ou reçoit encore, et d’autre part, en tant que celui qui donne, qu’apporte l’acte de transmettre dans la compréhension et la pratique de votre métier ?

[Y. D.] La transmission qui m’a été donnée l’a été dans les meilleures conditions : sur le tas, à une époque où il y avait de vraies équipes de montage (trois personnes : monteur, assistant et apprenti). On apprenait en faisant et en laissant traîner l’oreille, et si on ne savait pas résoudre un problème on devait inventer ses propres solutions. Cette transmission ne cesse pas, je continue à troquer ce ce qu’ils inventent avec ce que j’invente. La transmission hors du cadre du travail est plus délicate, des mots au lieu d’actes en quelque sorte. Par contre elle est pour moi d’une grande utilité pour coucher sur le papier les diverses expériences que je n’ai pas le temps d’écrire pendant les montages eux-mêmes.

[F. L.] Vous allez travailler avec une dizaine d’étudiants venus de tout l’espace méditerranéen. Pensez-vous que la grammaire du montage puisse être une question culturelle ?

[Y. D.] Quand on examine le montage des films des pays de l’Est (de l’Europe), on se dit qu’il y a quelque chose là bas qui envahit la pellicule de mouvement, une sorte de septième sens de la sculpture des masses et des couleurs (ou des ombres) par la coupe. Moins définissables pour moi sont les caractéristiques des montages des autres parties du monde (hors USA) mais il est certain que chaque pays monte avec sa culture… mais comme les cultures se soumettent chaque jour de plus en plus à l’entertainment, le gouffre du convenu s’ouvre.

[F. L.] Y a-t-il des lacunes récurrentes, chez les étudiants en cinéma que vous avez pu rencontrer, dans leur pratique et leur conception du montage ? Sont-ils conscients que tout se joue à ce moment-là ?

[Y. D.] J’ai souvent remarqué que, comme l’acte de monter est une opération très simple (choisir, couper, coller), les étudiants semblent souvent croire que le montage lui-même est chose simple. On le voit à la tendance à poser trop vite de la musique sur un montage, la charrue avant les bœufs. Le montage doit prendre en compte les secrets qui ont présidé à la fabrication du film et pas seulement lui dessiner une bonne gueule.

[F. L.] Si un étudiant arrive avec une notion bancale du rythme, ou si quelqu’un se laisse envahir par le désordre, quelle sera votre approche pour débloquer une telle situation en quelques jours ?

[Y. D.] Jean-François Stévenin et moi avons une solution dangereuse et essentielle pour les pièges qui se présentent dans le chaos et l’arythmie auxquels on se cogne pendant le montage : nous empirons le processus à l’œuvre en allant au bout de ses défauts, pensant qu’au bout de ce chemin escarpé il y aura (peut-être) la grâce.