Photobook Phenomenon


Par Jörg M. Colberg
Note du traducteur

Dans mon entreprise de traduction des textes de Jörg Colberg j’avais jusqu’à présent écarté ses critiques de livres. Affaire de disponibilité surtout : Jörg a une production régulière et importante. Le temps qu’il m’est loisible de consacrer à ce projet m’oblige à être sélectif. Ainsi avais-je choisi de me concentrer sur ses textes généraux, lesquels posent déjà nombre de questions pertinentes sur ce qu’est une photographie et ce qu’elle fabrique. Le texte qui suit fait exception à cette règle. Répertorié en catégorie « générale » il traite pourtant d’un ouvrage spécifique, Photobook Phenomenon, mais s’appuyant sur cette publication, il aborde la question de savoir ce qu’est un livre de photographie sous un ange en effet très général dépassant le cadre de ce livre précis.
F. L.

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L’engouement pour le livre photo est arrivé à un point culminant, un point qui en ce moment ressemble surtout à une ligne de crête. En tant que vecteur d’utilisation et de diffusion des photographies le livre est désormais un outil largement reconnu. Réalité qui, de mon point de vue, éclipse les inévitables excès accompagnant le phénomène.

Étonnamment, alors qu’on parle beaucoup du livre photo, je ne suis pas sûr que quelqu’un qui n’en soit pas déjà un grand connaisseur puisse facilement se faire une première idée de ce dont il s’agit. La plupart des livres qui me vient à l’esprit sont destinés à un public averti et familier du livre photo. Si l’on ouvre par exemple Le Livre de photographies : une histoire, vol. 1, ce n’est pas pour autant qu’on comprendra ce qu’est, en soi, un livre de photographie (en tout cas pas moi, la première fois que je l’ai ouvert). Mon propre livre, Understanding Photobooks, guidera le lecteur vers la réalisation d’un livre de photographies (du moins est-ce en ce sens qu’il a été conçu). Mais celui qui souhaite juste mieux comprendre ce qu’est un tel livre sans devoir assimiler quantité d’informations techniques pourrait se sentir submergé. Ce serait un peu comme vouloir comprendre la cuisine italienne en lisant un livre de recettes.

Aussi manque-t-il au sujet du livre photo un discours simple qui en reprenne les fondamentaux – comme de savoir ce qu’accomplit en réalité cette sorte de livres –, et pour bien faire qui considère le genre sous plusieurs biais. Ce qui m’amène à Photobook Phenomenon, un coffret de huit fascicules visitant le livre de photographies chacun sous un angle particulier, que l’on doit à Lesley Martin, Markus Schaden, Martin Parr, Horacio Fernandez, Ryuichi Kaneko, Gerry Badger, Erik Kessels et quelques autres.

La publication de ce coffret est une bonne idée. Le néophyte s’y familiarisera avec les divers aspects qui tendent à se généraliser d’un festival de livre photo à l’autre (revoir les mêmes thèmes et les mêmes habitués à chaque festival m’évoque parfois l’image d’un cirque ambulant). Pour cette raison Photobook Phenomenon sera sans doute d’un intérêt limitée pour les amateurs éclairés. Mais je ne vois là aucun problème. Comme je l’ai dit plus haut, il existe déjà une large production à l’attention des spécialistes.

Que trouve-t-on donc dans ce coffret ? Le premier livret rassemble des textes de Moritz Neumüller et Lesley Martin, tous deux sous forme d’introduction générale. On aimerait que la contribution de Lesley Martin puisse un jour être développée dans un livre à part entière, car le concept de taxonomie appliqué aux livres de photographie ouvre des perspectives novatrices sur le sujet. Quelles sont les différentes catégories de livres photo, et quelles sont leurs fonctions ?

Le deuxième livret me laisse un peu perplexe. Il s’agit d’une relecture de Life Is Good & Good For You In New York de William Klein par Markus Schaden et Frederic Lezmi. À première vue le résultat est plutôt attirant, avec ses phrases cherchant à reproduire la dimension anarchique du livre de Klein. Mais à moins d’être un grand connaisseur de ce livre-là, feuilleter de ce fascicule fait plutôt l’effet d’être tombé sur le fil Twitter d’un total étranger. Cela fonctionne probablement mieux dans le lieu d’exposition pour lequel ce projet avait été imaginé.

Martin Parr et Erik Kessel ont d’une certaine manière produit le même carnet (le troisième et le septième), à la différence près de leur approche. Les deux vous disent : « Hé ! Viens voir ma collection de livres photo ! » mais l’un vous en montre les « meilleurs » tandis que l’autre, les plus farfelus. Je trouve le résultat légèrement plus convainquant chez Kessels où l’on comprend bien qu’il s’agit simplement de présenter des livres vraiment bizarres. En quoi ou pourquoi les livres de Parr sont-ils « les meilleurs », voilà qui n’est pas explicité. L’intérêt pour le novice étant peut-être de mesurer à quel point certains, dans le monde de la photographie, aiment les réponses du genre : « parce que je vous le dis ».

Le quatrième livret, où Horacio Fernandez considère la bibliothèque à la façon d’un musée, compte, avec l’introduction générale aux livres de photo japonais par Ryuichi Kaneko (livret cinq), parmi les plus intéressants du coffret. Tous deux, je trouve, parviennent à s’adresser au novice aussi bien qu’au spécialiste. L’étude de Fernandez en particulier couvre un large spectre et est très bien documentée.

Évidemment, face à autant d’auteurs, le lecteur sera davantage attiré par ceux qui sont les plus proches de ses goûts (ce qui est sans doute mon cas lorsque je manque peut-être simplement d’indulgence envers les excentricités de Schaden et Lezmi).

Dans le sixième fascicule, Gerry Badger fait la distinction entre livres de propagande et contestataires. Je vois mal ce qu’un lecteur non-familier des livres de photographie pourra tirer d’une telle contribution. Je dirais que de tous les livrets c’est celui qui s’adresse le plus clairement aux experts.

Et enfin, le livret intitulé « Pratiques contemporaines », dirigé par Irene de Mendoza et Moritz Neumüller examine un nombre restreint de livres récents dont les auteurs sont invités à exposer leur approche. Je pense que c’est un excellent apport à l’ensemble car bien souvent, cette dimension est absente du débat sur des livres de photographie.

Une autre raison pour laquelle cet ouvrage mérite attention est qu’on ne fera pas exploser la banque en l’acquérant, et que le jour où le colis arrivera on ne se fera pas non plus exploser le dos. Quand on voit la manière dont la taille, et avec elle le prix, de nombre d’études sur la photographie ont gonflé récemment, il est à saluer qu’un livre destiné à un large public soit rendu accessible sous tous les aspects.

Sans doute certains, surtout du côté américain de l’Atlantique, auraient préféré un livre plus conventionnel en un seul volume plutôt que ce coffret. Mais je ne suis pas sûr qu’un tel ouvrage aurait le même impact. Ce coffret a été si bien pensé, conçu et produit qu’il sort tout simplement du lot. C’est un ouvrage motivant, qui fait partager un peu de cette énergie stimulante qui anime ci et là le monde de la photographie.

Une introduction à ce monde se doit d’aborder également cette dimension particulière : au-delà des désaccords sur ce qu’on apprécie, ce qu’il faut avoir vu, ce qui est important, ce qui est bon et ce qui est médiocre, le monde de la photographie est aussi fait de gens sincèrement passionnés par ce qu’ils font.

Conseillé.

 

 


Traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Lecloux en janvier 2018.
Article original de Jörg M. Colberg paru le 17 juillet 2017 sur Conscientious Photography Magazine.