Journal d’un autre

Je n’ai pas pris ces photographies. Je n’y reconnais personne. Aucun souvenir. Elles ne sont pas nées de mon rapport au monde. L’ambiguïté des conditions de leur enregistrement n’est pas une question qui me concerne. Elles ont perdu leurs gestes originels. Si quelqu’un les a jamais investies d’aucune vérité, elles en sont à présent dépossédées. Du moins me sont-elles parvenues sans. Ce qu’a pu être cette vérité ne m’est plus ni soutien ni obstacle. Et pourtant elles sont miennes. Elles le sont devenues par consentement ou par abandon, ce qui est une forme de consentement. Libérées de toute intention de dire, ces photographies sont innocentes. Ou plutôt l’étaient. Car maintenant je m’y sens chez moi. Depuis que je les ai choisies parmi des milliers, j’ai vécu maintes choses – avec elles et à l’intérieur d’elles. Et je continue. Ambiguïté nouvelle. Bagage dont les voilà chargées. Déjà j’y reconnais un visage, un souvenir… Si ces photographies disent plus que la perte de leur innocence, à ce jour je n’en sais rien.