Figures avec paysages absents

17 e-kus inspirés par les albums photographiques de quelques familles népalaises à Nottingham

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En 2017, lauréat de la bourse Leverhulme Trust Artist in Residence Grant, grâce à la confiance et à l’implication du Dr Jean-Xavier Ridon, j’ai été invité en résidence de création artistique à l’université de Nottingham.

L’objectif annoncé de cette bourse est de permettre à une université de « promouvoir une collaboration créative novatrice entre un artiste travaillant dans un domaine sortant du champ habituel de celui de l’institution d’accueil, et les professeurs et/ou étudiants de cette institution. »

Le projet récompensé est né à la fois de ma longue relation avec le Népal et de l’intérêt du Dr. Ridon pour la question de la trace – y compris photographique. Il a consisté dans un premier temps à rencontrer un certain nombre de familles parmi les 150 que compte la communauté népalaise de Nottingham, et d’interroger leurs représentations du parcours migratoire qui les a conduits en Angleterre, à travers leurs albums de famille. Il s’est agi ensuite de transposer le fruit de ces réflexions en un geste artistique.

Le projet fut présenté à la communauté lors de la célébration locale du nouvel an népalais en avril 2017. Ils ont répondu favorablement à ma proposition.

J’ai mené des entretiens à domicile avec les familles désireuses de s’y impliquer. Même si j’étais prêt à explorer des albums virtuels sur les réseaux sociaux, mon pari initial fut que la plupart des familles posséderaient effectivement un ou plusieurs albums de photographies, et que ceux-ci seraient un support pertinent de leur vision de leur propre déracinement. Pari gagné. Nous avons regardé ensemble leurs images. Ils m’ont laissé les manipuler, m’aidant souvent à m’y retrouver. Ainsi j’ai pu constituer un large corpus d’images avec pour seule règle de sélection mon émotion esthétique et intime face à la photographie, éventuellement influencée par les commentaires historiques ou personnels que les familles pouvaient y ajouter. Je les ai ensuite numérisées.

J’ai alors cherché à réinterpréter cette collection d’images par le biais d’une série de 17 e-kus. Fondé sur la forme classique du haïku, un bref poème japonais de 17 mores visant à évoquer plus qu’à décrire une émotion, le e-ku est une œuvre multimédia de 17 secondes qui combine image, son et – avec une relative licence pour ma part – texte. Il avait été imaginé aux alentours de 2010 entre Paris, Bruxelles et Manosque par Jean-François Michel, aujourd’hui disparu. Avec d’autres artistes, j’avais alors participé à la création des premiers e-kus. Depuis lors, si j’ai régulièrement convoqué la forme de l’e-ku dans mes projets personnels et travaux de commandes, je n’avais jamais trouvé l’occasion d’explorer tout son potentiel poétique. C’était un des enjeux de cette résidence.

Ainsi les présents e-kus sont-ils le résultat de la rencontre entre deux déplacements vers un même ailleurs. Ils sont nés par surcroît au point de jonction entre deux visions différentes des images que j’ai eu la chance de pouvoir manipuler et traduire dans une nouvelle forme visuelle – si tant est qu’une image puisse effectivement en traduire un autre. De sorte que cette traduction pourrait presque passer pour n’avoir pas vraiment de texte original. Car si ces images sont précieuses pour leurs propriétaires, elles sont aussi, en quelque sorte, la trace d’une réalité qui s’obstine à nous échapper, à eux et à moi. Peut-être est-ce pour cette raison qu’un des participants au projet m’a dit un jour : « ce que je dis, garde-le pour toi, mais ce que tu éprouves en écoutant à ce que je dis, cela, tu peux l’utiliser. »


Les e-kus ont été projetés lors de l’exposition de clôture de la résidence à la Highfield House, sur le campus University Park, entre le 10 et le 24 novembre 2017.
Télécharger le dossier de présentation de l’exposition en anglais.


Le lecteur familier de l’anglais peut également lire le journal de cette résidence ici.