La grande Route par tous les temps


Récemment, cherchant à identifier ce que je prends quand je dis que je prends une photographie, ces mots sont venus : une photographie, une de ces images qui existent en moi, sans que je sache ni où ni sous quels traits, jusqu’au moment où me fait signe une vibration dans le réel – et scintille la découpe à y opérer pour que l’image prenne chair et s’apparie avec sa trace intérieure, latente encore une seconde plus tôt.

Dans les années 1990 je photographiais en sonnets. Je ne l’ai pas su de suite. J’ai longtemps cru que je les écrivais. Que je les avais écrits. Mais non. Je les ai reconnus, vibrant dans le réel, réclamant d’être appariés avec leur trace intérieure, et j’ai obtempéré, rien de plus. Je les ai recueillis, découpés dans le paysage au long des routes et des rails, des Monts Célestes à l’Ardenne, d’Ostende à Katmandou, de Bruxelles à la vallée de la Hunza.

C’était il y a vingt-cinq ans, trente en comptant large – une paroi de temps. Quelques-uns l’ont traversée. C’est ma Grande Route par tous les temps. Elle paraît début juillet 2017 chez Arnaud Bizalion.

À cette occasion, lecteur,
reçois-en s’il te plaît un léger avant-goût…

 

Thiérache, années 1980

L’été !… l’été !… c’est l’heure où le tohu-bohu
Des wagons grinçait par les villages… C’est l’heure
Où, entrant dans les cours, nous avions du beurre
Et du lait tiède… C’est la saison du chahut !

C’est l’heure où tout était en ambulations,
Où les outils cognaient, crissaient au fond des forges,
Par les prés, les maisons, où le vent dans les orges
Dessinait joliment des ondulations…

Assis près d’une braise où cuisaient nos tartines,
Les pieds dans l’eau, c’est l’heure où guettant les matines,
Nous nous enivrions du fabuleux ballet

Aux rythmes saccadés, aux pas aléatoires,
Des flammes constellant de fuites giratoires
Le grand voile… C’est l’heure où tous les vins coulaient !…

Écrit à Leh, Ladakh, Inde, le sept septembre 1994

 


Photographie : Ladakh, Inde, été 1994.